Addictions : les médicaments aussi

12 juillet 2023
Santé Addictions : Les médicaments aussi Le Mag' Différence Séniors Héraclide

Depuis l’affaire Palmade, les addictions et leurs conséquences dans l’espace public et privé font la une des médias. Mais si les drogues les plus courantes s’appellent aujourd’hui alcool, tabac, cannabis ou cocaïne, les médicaments peuvent aussi engendrer une dépendance et être détournés de leur usage prescrit. Même chez les jeunes.

Les traitements dits à risque en termes d’addiction sont ceux liés à des médicaments psychoactifs qui agissent sur l’activité cérébrale et mentale ; ils sont utilisés pour traiter des troubles psychiques.

L’usage d’antalgiques opiacés, prescrits pour lutter contre la douleur, peut aussi créer de la dépendance. C’est ce qui explique, par exemple, l’arrêté du 12 juillet 2017 interdisant la vente de codéine sans ordonnance.

Comme pour n’importe quelle autre addiction, il existe une dépendance physique et psychique aux médicaments. La dépendance physique tient surtout de la tolérance croissante du corps, qui implique une consommation de plus en plus importante pour ressentir les effets de la substance.

La dépendance psychique, elle, tient dans le plaisir ressenti par la prise de certains médicaments qui ont un effet euphorisant, tranquillisant ou qui diminuent la fatigue. C’est là la raison première de l’usage récréatif détourné, sans prescription médicale et sans suivi, de certains traitements. Ces effets sont souvent recherchés par des personnes dépendantes à d’autres substances, lorsque ces dernières ne sont pas disponibles. L’usage des médicaments psychoactifs est alors détourné du cadre d’utilisation prévu par leur autorisation de mise sur le marché.

Dans la majorité des cas, les comportements addictifs des adolescents vis-à-vis des substances médicamenteuses commencent par la prise de médicaments qui ne leur sont pas destinés. Ils ont pu y avoir accès car ces médicaments sont disponibles dans leur entourage domestique ou social.

Les familles de médicaments à risque de dépendance et de détournement

Les benzodiazépines

Ils font partie des traitements les plus prescrits en France, notamment pour traiter l’anxiété, le stress, l’insomnie, les convulsions. Pour limiter un risque d’accoutumance qui pourrait conduire à une augmentation des doses et une dépendance, la durée maximale de prise de benzodiazépines ne doit pas dépasser quelques semaines. La dépendance peut d’ailleurs résulter d’une démarche volontaire, pour augmenter les effets thérapeutiques, comme cela peut être le cas notamment dans le traitement de l’anxiété.

En cas de dépendance ou d’intoxication chronique aux benzodiazépines, un état de confusion mentale et de somnolence diurne s’installe fréquemment. C’est alors un signe d’alerte, particulièrement chez l’adolescent, surtout lorsqu’un changement comportemental social y est associé.

 

Les opioïdes

Dérivés de l’opium, certains sont utilisés en thérapeutique comme puissants antidouleurs (morphine, fentanyl, codéine, etc.) D’autres, comme l’héroïne, sont issus de productions illégales, recherchés pour leur forte sensation d’euphorie et de plaisir qui les rendent très rapidement addictifs.

Lorsqu’ils sont utilisés dans le cadre thérapeutique, les opioïdes présentent un risque de dépendance si l’utilisation du médicament n’est pas encadrée.

 

 

Le fentanyl, 100 fois plus puissant que la morphine, est un médicament utilisé uniquement contre les douleurs intenses et rebelles, et sur de courtes périodes. Or, comme d’autres opioïdes, il se trouve aussi dans la rue où il est issu de productions illégales. Son coût étant plus abordable que l’héroïne, il est vendu sous forme de poudre qui peut être mélangée à d’autres drogues, également en poudre, comme l’héroïne et la cocaïne. Il peut aussi être sniffé, inhalé ou injecté.

Les amphétamines et leurs dérivés

Après avoir été longtemps utilisées comme coupe-faim ou comme stimulants psychiques, les amphétamines ne sont actuellement quasiment plus utilisées sous un mode thérapeutique.

Comme le fentanyl, elles ont également été produites pour les marchés de la drogue, où on les retrouve encore en grandes quantités, souvent associées à la cocaïne. Elles sont caractérisées par leur goût très amer. L’ecstasy, dont le principe est la MDMA (méthylènedioxyméthamphétamine), est la substance la plus répandue. Elle est vendue sous forme de comprimés, poudre, gélules, etc. Elle est souvent consommée avec de l’alcool pour en augmenter les effets. En France, on relève 400 000 usagers de MDMA/ecstasy dans l’année.

Les anesthésiques

La kétamine et le GHB (gamma hydroxy butyrate) sont de puissants anesthésiques utilisés à l’hôpital. La kétamine est également très utilisée en médecine vétérinaire, qui représente une source importante d’approvisionnement illicite. Le GHB peut, en plus, être utilisé contre une forme particulière de maladie du sommeil (narcolepsie).

Dans le milieu médical, ces deux médicaments sont très difficiles à obtenir car leur usage est très encadré. Ils sont pourtant également produits dans un cadre illégal et vendus sur le marché de la drogue.

La kétamine est recherchée pour ses effets euphorisants plus puissants que la MDMA. Le GHB l’est plutôt pour un usage malveillant car il est insipide et provoque une amnésie. Mélangé à une boisson, il constitue ce qui est communément appelé la « drogue du viol » ; la victime ne garde aucun souvenir de ce qu’il s’est passé.

 

Dr Bernard Basset,

Président d’Addictions France (1)

« Donner aux jeunes des compétences psychosociales pour résister aux sollicitations »

Quelle est la situation des jeunes en matière d’addictions ?
Dans nos centres, nous faisons le constat qu’en matière de drogues illicites, les jeunes consomment essentiellement du cannabis, puis vient la cocaïne. Et, en milieu festif, ils peuvent prendre des drogues de synthèse, mais aussi des médicaments détournés, comme le GHB. Appelé aussi drogue du viol, il peut être utilisé pour soumettre chimiquement.

La consommation de médicaments détournés est-elle en hausse ?
Je ne dirais pas ça. En règle générale aujourd’hui, les consommations de produits psychoactifs sont des polyconsommations. Ceux qui essaient tout sont susceptibles de tout associer. Les médicaments sont une possibilité. Si les jeunes goûtent par exemple au cannabis ou à la cocaïne, ils peuvent aussi consommer des médicaments.

Comment certains jeunes deviennent-ils dépendants à ces médicaments ?
Comme à d’autres substances. C’est le même mécanisme que pour les autres drogues. Si un jeune consomme régulièrement des médicaments psychoactifs de type valium, par exemple, il aura tendance à augmenter les doses pour retrouver l’effet du début et il aura du mal à s’arrêter.

Peuvent-ils tomber dans cette dépendance quand un médecin leur prescrit des médicaments psychoactifs ?
C’est possible, mais en général, les prescriptions ne peuvent être renouvelées sans l’avis du médecin. Et ces derniers savent aujourd’hui que ce sont là des prescriptions qui nécessitent un suivi, du fait du risque de dépendance. Par contre, les médicaments détournés peuvent être achetés ailleurs. On trouve de tout sur le marché. Ils peuvent aussi être détournés via la pharmacie familiale, si un proche du jeune prend des psychotropes.

Comment peut-on déceler les symptômes d’une addiction chez un jeune ?
Ce qui peut alerter, c’est un changement dans son comportement habituel, avec un engourdissement de sa pensée. Il peut manifester des troubles de l’humeur, de l’attention, des difficultés dans sa relation aux autres. Et puis, si l’on est attentif, on peut observer qu’il essaie de se procurer des médicaments de manière compulsive.

Que préconisez-vous pour sortir un jeune de l’addiction aujourd’hui ?
Il faut consulter. En France, nous avons différents types d’accès aux soins : la médecine libérale classique, les services hospitaliers d’addictologie, mais aussi tout le réseau des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et les consultations jeunes consommateurs (CJC) qui existent un peu partout.

La consultation jeune consommateur est en accès libre, gratuite et anonyme. Le jeune -et même ses parents- peut y avoir accès à des professionnels familiarisés avec les addictions (psychologue, éducateur, etc.) et faire un point. Et cela peut l’amener à entrer, s’il le souhaite et si c’est nécessaire, dans une démarche de soins. Les amis, qui sont en général un peu plus au courant que les parents de la réalité des consommations, peuvent le convaincre de se rendre à cette consultation.

Quelles actions de prévention menez-vous auprès des jeunes ?
Nous avons des programmes de prévention et d’information dans les écoles. Ils sont reconnus par la MIDELCA (2) et le ministère de la Santé et financés par les autorités sanitaires ou le Fonds national de lutte contre les addictions. Dans les collèges, un de ces programmes s’appelle le JBG, le Jeu du bon comportement. Il s’agit de donner aux adolescents les compétences psychosociales pour résister aux sollicitations qui pourraient les entraîner dans une conduite addictive.

(1) addictions-France.org
(2) Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives drogues.gouv.fr

 

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Article et interview réalisés par Carine HAHN.