Selon une étude (1) financée par l’ONG de cybermilitantisme Avaaz, parmi les 16-25 ans, plus de 7 sur 10 trouvent l’avenir « effrayant ». Et près de la moitié des sondés estiment que l’éco-anxiété affecte leur vie quotidienne. Des résultats qui font froid dans le dos. Le rapport du GIEC, publié en février dernier, n’arrange rien : l’état de la planète s’étant fortement aggravé, ses experts estiment indispensable d’inverser la courbe des émissions de gaz à effets de serre à l’échelle mondiale au plus tard avant 2025. Dans trois ans seulement… De quoi inquiéter encore les jeunes esprits et les autres.
Les catastrophes naturelles provoquent des risques physiques, mais aussi psychiques. Ainsi, une personne sur trois présentait des symptômes de stress post-traumatique après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. « Le dérèglement climatique en cours et, plus généralement, notre environnement de vie a de nombreux effets sur notre santé. Notre cerveau est un organe comme un autre : quand il souffre, c’est notre esprit et notre psychisme qui peuvent être altérés », explique Antoine Pellissolo, chef du pôle Psychiatrie et addictologie à Henri-Mondor (AP-HP) (2). Dès lors, quels effets des bouleversements environnementaux sont à craindre ? « L’expression la plus courante est l’éco-anxiété, qui correspond à une forte inquiétude concernant l’avenir de la planète, précise-t-il. Elle prend la forme de questionnements et de ruminations qui perturbent la sérénité, ou d’autres manifestations classiques du stress et de l’anxiété : symptômes physiques (maux de ventre ou de tête, palpitations, bouffées de chaleur), irritabilité, troubles du sommeil et de l’appétit ». Apparaissent des émotions comme la peur ou la colère, mais aussi un sentiment de culpabilité, d’impuissance et de solitude. Certaines personnes peuvent même manifester des symptômes ressemblant à ceux du stress post-traumatique, tels l’hypervigilance, des cauchemars, des idées fixes, quand elles ont été confrontées à des images répétées de catastrophes (incendies, inondations, tempêtes), avec l’impression que cela pourrait arriver à tout moment. Des chercheurs ont dénommé « solastagie », le sentiment de celles et ceux qui ont vu leur milieu naturel transformé ou détruit, qui le vivent comme une perte définitive, donc comme une sorte de « deuil écologique ».
1. Un mal-être de la jeune génération
Selon Antoine Pelissolo, les 15-30 ans sont les plus touchés. « Pour la première fois, cette génération se sent directement et personnellement concernée car les prévisions annoncent des bouleversements de l’environnement de vie, même dans nos pays, et à une échéance proche. Auparavant, les personnes s’inquiétaient pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Aujourd’hui, l’annonce de la montée des températures ou des eaux, du manque de ressources alimentaires ou d’eau, conduit les jeunes à renoncer volontairement à avoir des enfants. » Si l’éco-anxiété reste marginale comme plainte principale en consultation, de plus en plus de patients souffrant d’anxiété ou de dépression évoquent les sujets de l’actualité climatique comme participant à leurs angoisses. Sans compter que la crise sanitaire et ses confinements sont passés par là. Ce que confirme Antoine Pélissolo : « Depuis deux ans, nous voyons de plus en plus de jeunes patients ayant un mal-être profond. »
2. Des solutions pour tenir le coup
Qu’est-il possible de faire ? « Pour mieux vivre le monde actuel, il faut commencer par se méfier et se protéger de la sur-information en limitant son exposition aux médias qui délivrent des informations en continu anxiogènes car spectaculaires. Il faut aussi équilibrer ses obligations professionnelles et sociales, avec des temps de loisirs et des durées de sommeil suffisantes. Enfin, il faut parvenir à un état d’esprit associant des objectifs personnels à long terme, basés sur des motivations fortes, une acceptation des réalités sur lesquelles nous n’avons pas de prise et une approche « au jour le jour » quand l’adversité est forte. L’anxiété risque toujours de nous conduire à envisager le pire et à anticiper des catastrophes. Il vaut mieux prendre les problèmes les uns après les autres, en se consacrant au moment présent. »
Autre piste : partager ses préoccupations avec d’autres. Comme le souligne Antoine Pelissolo, « un engagement personnel, conforme aux valeurs profondes souvent associées à l’éco-anxiété, dans une activité associative de défense de la nature ou dans une action en faveur de l’environnement permet de sortir d’un sentiment d’impuissance et d’isolement. Après une phase de sidération et d’angoisse, la personne peut aussi redonner sens à sa vie en adoptant un comportement individuel de limitation de sa propre empreinte carbone. »
(1) Menée entre mai et juin 2021 par l’Institut Kantar auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans dans dix pays (Australie, Brésil, États-Unis, Finlande, France, Inde, Nigéria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni)
(2) Auteur avec Célie Massini, interne en psychiatrie, de Les émotions du dérèglement climatique, éd. Flammarion, 2021.
« Se trouver une action juste, adéquate pour soi. »
Qui sont vos patients éco-anxieux et quels symptômes présentent-ils ?
Charline Schmerber* : Il s’agit principalement de jeunes, qui se posent beaucoup de questions existentielles : dois-je faire des enfants ? Où dois-je aller vivre ? Dois-je changer de travail ? Ils ont des ruminations, des pensées obsessionnelles, des obsessions écologiques. Leur corps est atteint : ils ont du mal à dormir, à s’alimenter. Ils peuvent aussi montrer une fatigue émotionnelle et psychique. Certains s’isolent, ont du mal à faire du lien; ils veulent se couper du monde. D’autres, tels les militants écologiques par exemple, peuvent aller jusqu’à déclarer un burn-out écologique, parce qu’ils sont surmenés et dans un grand sentiment d’impuissance.
Comment les accompagnez-vous pour qu’ils aillent mieux ?
C.S. : Je travaille avec eux sur trois axes. L’idée est, d’abord, de leur permettre de prendre soin d’eux car ils sont dans le « trop », puis de parler et partager leurs émotions, et de retrouver une sécurité intérieure et un meilleur rapport au temps. Je leur propose des exercices de méditation, de cohérence cardiaque et de la lecture, par exemple, du psychanalyste Viktor Frankl (NDLR : il a créé la logothérapie, qui prend en compte le besoin de sens et la dimension spirituelle de la personne). Car ils peuvent être envahis par des scenarii catastrophistes à la Mad Max et ont besoin de retrouver de leur capacité à rêver. Nous travaillons ensuite la sécurité du lien avec les autres humains. Je les amène à comprendre tout l’impact qu’ils peuvent avoir par leur action. Se trouver une action juste, adéquate pour soi, permet d’aller mieux. Cela peut aussi être ne rien faire du tout. Il ne sert à rien d’approcher les autres seulement pour les convaincre de l’urgence de la situation. Enfin, nous travaillons sur leur reliance avec le vivant. J’organise des marches lentes en forêt avec des exercices de respiration, le dos contre un arbre. En parallèle, j’anime des groupes de parole. Mes patients peuvent ainsi réaliser qu’ils ne sont pas seuls, se reconnaître dans les autres et apprendre et à s’écouter et à écouter.
Que conseillez-vous aux parents dont les enfants se montrent éco-anxieux ?
C. S. : De rester dans l’écoute et le dialogue, et de consulter un professionnel si les symptômes persistent.
Pour en savoir plus : www.solastalgie.fr
Article réalisé par Carine HAHN.