Trouver l’amour aujourd’hui

12 octobre 2022

La France compte 26 millions de célibataires. Et pour beaucoup d’entre eux, il est bien difficile de traverser le désert de l’amour sans y perdre sens à la vie. Car la rencontre avec l’autre leur est essentielle. Mais les codes ont changé et le virtuel y est pour beaucoup. Les applis et autres sites de rencontre -qui démultiplient les possibilités- n’offriraient-ils donc qu’illusion marketing, à grand renfort d’algorithmes sans âme, aux consommateurs dépendants et insatisfaits qu’ils ont créés? Auraient-ils fait disparaître la magie de l’amour? Ou au contraire proposeraient-ils, sans le vouloir, l’occasion à leurs adeptes de se poser les bonnes questions pour avancer ? Oui, notre époque nous propose de nouvelles cartes pour nous découvrir et nous rencontrer. Mais peut-être nous faut-il les saisir sans oublier que l’amour choisit souvent pour naître un chemin de traverse. Voyage en terre virtuelle et réelle.

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« Fréquenter les sites de rencontres n’a plus rien de honteux, c’est une habitude répandue. Je peux même te dire que ça devient une addiction. Le consommateur demande sa dose quotidienne de Love-actualité ! » Dans son roman L’intimité (1), Alice Ferney décrit à merveille la recherche effrénée de l’amour menée par un jeune quadragénaire, après le décès en couches de sa compagne. Sa voisine le guide dans ce qu’elle nomme le nouveau business de l’amour et du sexe, le « far-west de la baise. » Un livre de notre époque sur notre époque. Mais qui pose aussi la sempiternelle question : pourquoi est-il si compliqué de rencontrer quelqu’un dans la vraie vie aujourd’hui ?

Pallier un manque

Et si la pénurie de partenaires était la réponse. Comme les chiffres le montrent. De l’adolescence à 25 ans, le champ des possibles est ouvert. Les jeunes vont à des soirées ou des concerts, fréquentent les bars, les boîtes de nuit… qui brassent énormément de monde. Mais autour de 30 ans, la donne change. Parce que les couples, à cet âge-là, se forment massivement. Et les célibataires qui restent sont en difficulté. Dans son livre (2), Marie Bergström, chercheuse suédoise sur le couple et la sexualité, souligne qu’ensuite, vers 40, 50, 60 ans, quand les couples rompent, les séparés réalisent qu’il n’y a pas tant de gens libres que ça. Le fait étant déjà qu’il y a moins de célibataires à 50 qu’à 25 ans et que les occasions de rencontre ne sont plus les mêmes. Les lieux de sociabilité très fréquentés par les jeunes apparaissent comme inappropriés à partir d’un certain âge. Aussi le numérique, fort de ses applis et de ses sites de rencontre, vient-il pallier le manque de partenaires. Et dans un temps record. Les rencontres en ligne vont plus vite que dans la vraie vie. Car les termes de la relation se posent avant même qu’elle débute. En remplissant son profil et les critères de choix demandés. Comme en témoigne Charles, 55 ans, chef d’entreprise : « L’appli nous demande de donner notre situation personnelle (divorcé, séparé, marié avec ou sans enfant), nos atouts, nos faiblesses et tout ce qui nous est important chez l’autre, ce que nous attendons (son âge, ses goûts, ses caractéristiques physiques). Mais on peut aussi se contenter de ne mettre qu’une photo. La mienne me ressemble, mais je constate que beaucoup de femmes utilisent des filtres ou des photos d’elles plus jeunes. Et qu’elles sont donc très différentes en vrai ! »

Tout va plus vite

Si les profils « matchent », entendez « vont ensemble », ceux qui les ont écrits commencent à se « parler » en ligne  par messages et/ou s’appellent et conviennent au bout de quelques jours, dans la majorité des cas, d’un rendez-vous dans la vraie vie. Mais ils se sont déjà souvent dit beaucoup de choses pour vérifier où ils mettaient les pieds. Qui plus est s’ils ont de l’expérience en matière de rencontre virtuelle. « Je me suis étonnée de parler plusieurs heures au téléphone à un homme que je ne connaissais pas et de lui dire des choses très intimes avant même un rendez-vous. » confie Laurence, 42 ans. enseignante. Dans la plupart des cas, de la rencontre en ligne qui marque le début de la période de séduction, on passe rapidement à la relation sexuelle sans lendemain ou à une relation qui mène aux fiançailles, au mariage et à la fondation d’une famille. A condition que l’objectif affiché de la rencontre soit exact. Alors que dans la rencontre ordinaire, les choses peuvent prendre plus de temps et l’on apprend souvent ce que l’autre veut vraiment lors d’une crise. En ligne, si chacun des partenaires est au clair avec ce qu’il veut, ils peuvent accélérer le mouvement pour avancer ensemble. Qui plus est s’ils ne veulent plus de la solitude.

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Désenchantement et frustration

Mais toutes les rencontres en ligne ne mènent pas à une rencontre qui va tout changer. Il s’avère que le désenchantement s’invite souvent à la table. Chloé, 35 ans, commerciale : « Je vais souvent à un rendez-vous sans y croire, même si j’ai déjà conversé avec la personne pendant plusieurs jours. Je suis très souvent déçue. Parce qu’au final, je ne ressens pas le feeling que j’attends dans une relation. Pourquoi lui et pas un autre ? Je ne suis pas convaincue. Et je me dit qu’une fois de plus, c’est un échec, que je vais rester seule, que je dois avoir un problème. » Comme le souligne Marie Bergström, tout est très mécanique dans la rencontre en ligne. On cherche, on entre en contact, on sélectionne, on séduit dans une liste de candidats retenus interchangeables. L’imaginaire, la magie et la singularité de la rencontre ont disparu. Et cela peut manquer à ceux qui rêvent de hasard, de dimension inexplicable, de conte de fées. Sans compter aussi que les candidats à la rencontre amoureuse peuvent être confrontés à un rejet des autres plus violent que dans la vraie vie. En ligne, on sait très vite si on ne plaît pas ; notre profil n’est pas choisi.

Prendre le temps d’attendre

Pourquoi y a-t-il tant d’insatisfaits des services en ligne? Sans doute parce qu’ils en attendent beaucoup, comme ils attendent beaucoup de l’amour. A en croire la publicité des plateformes, il serait en effet possible de rencontrer une personne formidable pour une nuit ou avec qui refaire sa vie. D’autant que les algorithmes sont là pour vous aider à « matcher » avec la bonne personne et pour vous rattraper en vous proposant de nouveaux profils inconnus jusqu’alors quand vous êtes sur le point de quitter le site ou l’appli. Et, malgré tout, la rencontre n’arrive pas, le taux de frustration et de tristesse est à son summum. La promesse n’est pas tenue et le client est déçu. Les jeunes hommes et les femmes seniors sont les deux groupes pénalisés. Pourquoi ? Parce que les jeunes femmes se sentent plus mûres plus jeunes et se mettent en couple avec des hommes plus âgés. Et que les femmes mûres, après une séparation, qui aimeraient se remettre en couple, n’y arrivent souvent pas parce que les hommes de leur âge sont avec des femmes plus jeunes.

Les Etats-Unis et l’Allemagne disposent des données les plus récentes. Il s’avère que les plateformes y représentent le troisième mode de formation de couples en 2019 et 2020. Les rencontres par les amis, suivies par celles sur le lieu de travail ou d’études sont toujours en tête. En France, le même résultat statistique se profile. Finalement, rien de très neuf sous le soleil. Il s’avère aussi que pour beaucoup de personnes d’âge mûr séparées, les applis et les sites sont aujourd’hui centraux pour faire de nouvelles rencontres. Alors, même si les plateformes ont la réputation d’être principalement dédiées à la rencontre sexuelle et que l’on rêve du grand amour, pourquoi ne pas se lancer ? Sans préjugés. Comme le souligne Marie Bergström, le sexe n’est pas un obstacle à l’engagement. Et il n’est pas rare qu’il conduise à l’amour. A condition peut-être de se laisser le temps de se laisser surprendre.

(1) L’intimité, Alice Ferney, Babel, mai 2022.

(2) Les Nouvelles lois de l’amour, sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, La découverte, Maris Bergström, 2019.

 

Patrick De Neuter exerce en libéral à Bruxelles.  Il vient de publier Les hommes, leurs amours et leurs sexualités (1).

« L’obligation de satisfaire tous ses désirs et de jouir à tout prix devient de plus en plus forte. »

 

Que vous évoque le titre de notre dossier ?

Patrick De Neuter : Si l’on en croit le proverbe : « Qui cherche trouve ». Ce qui ne s’avère pas toujours aussi simple. Mais il y a comme toujours une vérité dans le proverbe : pour trouver l’amour, il faut au moins y être disponible.

En quoi la séduction et ses codes ont changé pour/chez les hommes, mais aussi pour/chez les femmes ?

P. De Neuter : Les applis et les sites, qui peuvent être vus comme les marieuses du passé, ouvrent des rencontres d’abord virtuelles, qui peuvent déboucher sur des rencontres réelles, parfois sur l’amour mais aussi souvent sur une déception. Quant aux codes, on observe qu’une règle est devenue obsolète, celle qui voulait que ce soit à l’homme de faire le premier pas. Les femmes deviennent plus actives, moins discrètes dans leur séduction et leur quête amoureuse. Cette activité est acceptée par la plupart des hommes. Par certains, elle est même attendue. Finie aussi la règle sociale qui voulait que la femme âgée, veuve ou divorcée, ne puisse plus séduire et avoir de vie sexuelle (2).

Les femmes et les hommes d’aujourd’hui cherchent-ils vraiment l’amour ?

P. De Neuter : Qu’est que l’amour ? Qu’est-ce que l’amour vrai ? L’amour vrai suppose que l’on veuille le bien de l’autre, son plaisir, sa jouissance, son bien-être, son développement personnel, sa santé. Il suppose aussi un pacte, un engagement dans la durée et enfin une tolérance aux limites de l’autre, à ses difficultés, à ses maladresses voire à ses comportements symptomatiques. Être heureux en amour, implique que l’on renonce à l’illusion d’un autre qui serait parfait et comblant toutes nos attentes. Rêve qui date de notre petite enfance. « L’amour n’est pas qu’un sentiment, c’est aussi un art », écrit Balzac, et un art se cultive, s’entretient dans la durée, demande investissement et créativité. Être heureux suppose aussi que l’on renonce aux liens amoureux positifs ou décevants vécus de notre enfance et que l’on ne confonde pas compagne ou  compagnon avec cet Autre important de cette même enfance.

Qu’attendent-ils aujourd’hui ? 

P. De Neuter : Aujourd’hui, dans le couple, les hommes et les femmes attendent tout de l’autre : amour, tendresse, plaisir sexuel, complicité, reconnaissance, partage intellectuel, protection contre la solitude, solidarité dans les coups durs qu’infligent la vie et le vieillissement, et enfin fidélité. Tout cela, ils voudraient le trouver en une seule personne. Ce qui ne peut qu’être difficilement satisfait. D’où l’espoir de trouver avec un ou une autre ce qui ne se trouve pas au sein du couple. Jadis tolérées par les femmes, les infidélités sont devenues aujourd’hui insupportables pour la majorité d’entre elles comme pour les hommes. Bien qu’une majorité des répondants aux enquêtes sur le sujet affirment que la fidélité est essentielle pour la vie de couple, 50% des hommes et 30% des femmes disent avoir été infidèles. Ce qui indique que c’est la fidélité de l’autre qui est demandée. La valeur d’épanouissement personnel devient plus importante que l’engagement et la solidarité. L’individualisme prime dans le couple comme dans la société. Dans mon livre, je suis parti du mythe de l’enlèvement d’Europe. Mais les hommes d’aujourd’hui rêvent toujours de séduire plusieurs femmes, d’être marié et de faire des conquêtes plus jeunes. Ce qui est facilité par les applis. Même s’ils font plus attention depuis #Metoo, car les femmes n’acceptent plus d’être traitées en objets. On parle plus d’extra-conjugalité que d’adultère. D’ailleurs, il n’y a plus de divorce pour faute d’adultère. Et sept divorces sur dix sont demandés par les femmes. Le couple ouvert, sur le modèle de celui de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, au sein duquel la relation principale accepte d’autres secondaires, demande une grande force psychique.

Faudrait-il aujourd’hui être tout de suite au diapason de l’autre ? Alors qu’avant, on parlait de construction commune…

P. De Neuter : De façon générale, c’est obtenir tout, tout de suite. C’est une temporalité propre à notre époque. Subtilement, l’obligation de satisfaire tous ses désirs et de jouir à tout prix est de plus en plus forte. Sur les applis, on est déjà sûr que l’autre cherche une rencontre alors qu’avant il fallait être sûr de ne pas « prendre un râteau ». Cela n’empêche pas le rejet sans explication et l’illusion. Tout va plus vite là aussi. On ne se formalise pas des formes.

Vous écrivez « l’amour surprend, le désir nous mène par le bout du nez ». Beaucoup de personnes se refusent d’avancer par peur de ne plus contrôler.

P. De Neuter : Tomber en amour, comme on dit au Canada, c’est tomber avec le risque de perdre le contrôle et le désir, c’est perdre la tête. On ne veut pas répéter l’échec amoureux. Il y a une grande méfiance. La première étape, c’est de repérer ce qui bloque, identifier quels échecs ont pu avoir lieu dans le passé : un petit copain à l’école, des frères, tous ceux que l’on oublie en pensant avant tout à la mère, au père. Il faut élargir, cela peut aussi être un beau-père, un amant de la mère. Le but des thérapies analytiques est d’atténuer ces déformations et de se désengluer de ces « programmes » ou schémas de réactions qui font obstacle dans la relation aux autres et qui empêchent un homme ou une femme d’éprouver du plaisir dans la rencontre et dans la vie à deux.

(1) Les hommes, leurs amours et leurs sexualités, Erès, 2022 (à paraître chez le même éditeur en 2023 : Les femmes, leurs amours et leurs sexualités)

(2) Il n’y a pas d’âge pour jouir, La retraite sexuelle n’aura pas lieu, Catherine Grangeard, Larousse, 2020.

 

Sophie, Jennifer et Jean-Yves* racontent …

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* Les prénoms ont été changés.